AVERTISSEMENT. Cet article relate différentes agressions sexuelles et un viol subis par une femme en situation de handicap invisible. Afin d’éviter de revivre des choses désagréables, je déconseille la lecture de cet article aux personnes ayant subi des violences sexuelles. Chacun-e de vous est libre de lire ou ne pas lire ce contenu.
Note : J’ai utilisé une photo de moi dénudée afin d’illustrer ma vulnérabilité. Il ne s’agit en aucun cas d’une photo destinée à séduire. Je ne fais aucune rencontre par Internet. Plus de détails en cliquant ici.
Aujourd’hui, c’est moi qui témoigne. Je raconte les situations de violence sexuelle que j’ai vécues et qui sont liées à mon syndrome d’Asperger (trouble du spectre autistique sans déficience intellectuelle). Ce trouble est notamment à l’origine de difficultés à percevoir le langage implicite, la communication non-verbale et le second degré.
Cet article est très long. Je voulais parler de ce sujet une fois pour toutes, et passer à autre chose. Allez directement aux parties qui vous intéressent le plus en cliquant sur la table des matières (et cliquez sur la flèche orange transparent à gauche pour revenir au sommaire) :
Pourquoi rajouter mon témoignage à la série #metoo déjà longue ?
(1) Pour continuer à dénoncer la situation des Femmes
Seules 10 % des femmes victimes de viol en France portent plainte (Source : enquête VIRAGE, INED), et seules 10% de ces rares plaintes aboutissent à une condamnation par la justice (chiffres de l’année 2013) ! Si on additionne les pourcentages, seulement 1% des viols commis sont punis en France !!! Et je ne parle même pas des agressions sexuelles… Alors quand on me dit « Non mais tu exagères, de nos jours les femmes sont quasiment égales aux hommes, ça vaaa », je bondis ! Une prise de conscience sur la condition des femmes est nécessaire. Être une femme expose réellement à des problèmes que ne connaîtra jamais un homme. Il faut dénoncer la situation féminine en envahissant les médias avec nos témoignages. Ne plus accepter sans rien dire mais parler, dénoncer, donner le pouvoir aux victimes et casser la culture du viol qui nous étouffe !
(2) Pour porter plainte à ma manière
60% des victimes se voient dissuadées de porter plainte par les policiers (source : enquête #PayeTaPlainte). C’est mon cas : mon dépôt de plainte a été refusé par le commissariat où j’ai réussi à aller 6 ans après les faits. Je n’ai pas envie de retourner dans un autre commissariat pour tenter à nouveau de porter plainte. Alors j’utilise Internet pour raconter mon histoire, c’est ma manière de porter plainte.
(3) Pour montrer qu’être autiste Asperger multiplie les risques d’agressions sexuelles
Vous allez le voir en lisant mon témoignage, les agressions que j’ai subi peuvent paraître hallucinantes. D’un point de vue extérieur, on peut croire que je me suis jetée toute seule et très « naïvement » dans la gueule du loup… Mais ce que j’ai vécu reflète exactement ce qui peut arriver à toute femme autiste Asperger. Si mon témoignage sert à mettre en garde les personnes autistes et leur entourage, alors j’aurai accompli ma mission. Sans sur-protéger ces personnes, il est du devoir de leur entourage de leur expliquer que le mensonge existe et qu’une personne peut dire une chose mais penser et agir autrement derrière.
(4) Pour servir de référentiel dans mes futurs articles sur l’autisme
Je me servirai de mon témoignage comme exemple auquel me référer dans mes articles spécifiques sur la sexualité des aspergirls.
Mes témoignages : viol et agressions sexuelles diverses
Je dépose ici non pas mon, mais mes témoignages. J’ai subi plusieurs formes différentes de violence sexuelle. Je les relate ici par ordre de gravité (du plus traumatisant pour moi, au moins traumatisant).
(1) Agressée sexuellement puis violée : 2 situations différentes liées à l’autisme vécues le même jour
Ce jour-là, je l’effacerais bien de ma vie !
J’avais 20 ans et on faisait un voyage scolaire au Maroc dans le cadre de mon BTS. À la fin du voyage de classe, on avait la possibilité de rester quelques jours de plus en autonomie, sans les profs. Comme j’adore voyager, j’ai saisi cette opportunité et je suis restée un peu plus longtemps, avec des amis de classe. On était 2 filles et 3 garçons de ma classe.
Un jour, on visitait un village au milieu de désert, et on a discuté avec un homme de là-bas (environ 30 ans). On parlait souvent avec les gens du coin, c’était sympa. Au bout d’un moment, il m’a proposé de faire le guide touristique pour moi et de m’emmener voir des grottes à pied. Il était super gentil et je me suis dit « cool, je vais découvrir un endroit que les touristes habituels ne voient pas ! ». J’ai donc accepté et on s’est mis d’accord avec les autres pour se rejoindre plus tard. Me voilà partie avec cet homme sympathique. Je me suis vite rendue compte que les grottes étaient bien plus loin que ce qu’il m’avait dit ! On a marché au moins 2h à pied dans le désert ! Sur le chemin, on s’est arrêtés dans des petites maisons abandonnées pour visiter. Là ,ça a commencé à mal tourner.
Ça tourne mal, je ne comprends pas et j’ai peur
Il m’a plaquée contre le mur (face à lui) et m’a embrassée de force. J’ai tourné ma tête au maximum sur la droite pour que sa bouche ne puisse pas atteindre la mienne, puis sur la gauche, mais comme j’étais contre le mur, je n’avais pas vraiment de possibilité de faire plus que ça pour l’en empêcher. Il me tenait fermement et je ne pouvais rien faire. J’étais au milieu du désert avec un inconnu rencontré quelques heures plus tôt… J’étais totalement à sa merci. Je n’ai pas osé le frapper pour m’enfuir en courant. D’abord, j’avais hyper peur. Ensuite, je ne comprenais rien à ce qu’il se passait, il était si gentil depuis le début, et il ne m’avait pas spécialement draguée ou montré d’intérêt particulier. Et surtout, je ne connaissais pas la route du retour. Je me serais probablement perdue et il m’aurait retrouvée pour se venger. J’avais peur de sa réaction si je me défendais agressivement. Je me disais qu’il allait me violer.
Je mets en place une « stratégie » pour subir le moins de violence possible
Là, je savais que j’étais dans une situation où je dépendais totalement de lui pour rentrer saine et sauve à l’hôtel. J’ai décidé de « coopérer »… Il venait de me plaquer contre le mur pour me forcer à l’embrasser. Plus je résistais, plus il me serrait fort. Alors j’ai arrêté de résister, j’ai choisi de faire style que j’étais contente. Chaque bisou était horrible mais je ne le repoussais plus et faisais comme si j’étais intéressée. J’ai repris un sourire forcé et lui ai dit « alors, on va les voir ces grottes ? ». On est donc allés voir ces fameuses grottes. C’était d’anciennes galeries troglodytes construites dans le passé. Là, rebelote, bisous forcés… il a essayé de me toucher l’entrejambe mais je lui ai dit (en souriant comme je pouvais) que je préférais prendre mon temps et qu’on pourrait faire ça tranquillement plus tard (genre on commençait une histoire d’amour… n’importe quoi). J’étais terrorisée ! Puis on est (enfin !) rentrés au village, mais il s’arrêtait régulièrement pour m’embrasser et essayer de me toucher. Ces pauses me dégoûtaient, il me dégoûtait. Ses mains qui me touchaient étaient sales, ses dents étaient encore plus sales et il puait la clope (je déteste ça : en tant qu’hypersensible, l’odeur de cigarette est agressive pour moi).
Enfin de retour
Il s’arrêtait tellement souvent sur le chemin du retour que j’avais peur qu’il ne me ramène pas au village. Heureusement, on est finalement rentrés. Je lui ai promis de le rejoindre chez lui le soir-même pour qu’il me laisse repartir seule à mon hôtel. Je ne voulais surtout pas lui donner l’adresse !
En tout, ça a duré bien 5 ou 6 heures. Sous un soleil tapant. Sans boire, ni manger (je pensais que la balade durerait 20 minutes). Je suis rentrée à l’hôtel vidée de mes émotions, avec encore l’odeur dégueulasse de l’autre, la faim au ventre, la soif à la bouche, la fatigue de ma lutte interne, du soleil, de la marche. Mais avec le sentiment que maintenant j’étais en sécurité dans mon hôtel.
Ce que je ne savais pas… c’est que ce n’était pas fini.
Une fois arrivée à l’hôtel, j’attendais mes amis qui étaient toujours en balade. Comme je n’avais pas les clés de ma chambre (ma copine de classe les avaient), je suis montée sur la terrasse de l’hôtel. Je me remettais doucement de mes émotions, et luttais contre la faim qui me tenaillait. J’étais harassée, épuisée par les émotions négatives fortes qui m’avaient envahie toute cette journée, par la marche sous le soleil sans eau, par le jeûne forcé depuis la veille.
Je regardais le paysage, soulagée d’être « à la maison », contente que je n’aie eu à subir « que » des bisous forcés, et pas plus… Et quelqu’un a interrompu mes pensées. C’était un touareg : un homme du désert (il portait un chèche qui lui couvrait la tête et une djellaba). Un client de l’hôtel, comme moi. J’étais contente de parler à quelqu’un. Il m’a offert une bière, j’ai accepté même si je n’aime pas vraiment ça et bois très rarement. Grave erreur ! Je n’avais rien mangé depuis la veille, et en plus je ne bois jamais. Même si ce n’est qu’une bière, j’ai eu vite la tête qui tournait un peu. On a discuté un moment, mes amis n’arrivaient toujours pas. Dans le cours de la discussion je lui ai raconté ce qu’il m’était arrivé avec l’autre et la « visite » des grottes. Il m’a dit que les hommes ici essayaient de profiter des femmes et qu’il fallait se méfier, mais qu’à l’hôtel, j’étais en sécurité (il a pris le rôle du sauveur). C’est vrai que je me sentais en sécurité.
Comment il m’emmène astucieusement dans sa chambre
Après un moment d’échange agréable, il a voulu m’écrire sur un papier le nom d’une ville marocaine à visiter durant notre séjour. Il n’avait pas de stylo sur lui. Par contre, il en avait dans sa chambre : « Je vais chercher un stylo dans ma chambre, tu viens avec moi ? » Et moi, en toute confiance, j’ai accepté ! Je n’étais pas en mesure d’imaginer comme potentiel violeur quelqu’un de sympa qui me disait être en sécurité ici. Dans sa chambre, la discussion a continué tranquillement, il a écrit son truc et m’a donné le bout de papier.
Comment il me manipule pour que je lui fasse confiance et me laisse « masser »
Ensuite, très habilement, il m’a expliqué que dans sa famille de touaregs, ils avaient l’habitude de se masser entre eux. C’était une tradition de santé, blablabla. Quand j’y repense maintenant, je vois à quel point ses manœuvres et son discours étaient « habilement » menés. Il savait très bien ce qu’il faisait et avait reconnu en moi une potentielle victime depuis le début. Vous l’avez compris, de fil en aiguille, me disant que j’avais besoin de repos après cette journée horrible … il a réussi à me faire allonger de mon plein gré sur son lit pour me prodiguer un « massage thérapeutique ».
Comment je reste clouée sur le lit alors qu’il commence son agression
Quelques minutes après avoir commencé à me masser, il m’a enlevé mon t-shirt, c’était soi-disant mieux de masser directement la peau. Et ensuite, il m’a totalement déshabillée. Comme ça. J’étais tellement choquée que mon « protecteur » auto-déclaré se comporte de cette manière que je suis restée figée (ça s’appelle la sidération psychique). Et là, sans prévenir, il a enlevé mon boxer qui restait, et a commencé à me lécher l’anus ! J’étais sous le choc.
- D’abord : il était censé me masser pour mon bien, pas me toucher le cul. Il m’avait dit que les hommes abusaient des femmes et qu’avec lui j’étais en sécurité, mais c’était tout le contraire ! Il faisait bien pire que le petit mec qui m’avait embrassé pendant la journée. Il ne suivait pas le « programme » : il n’était pas seulement en train de me masser, mais il faisait quelque chose de différent de ce qu’il avait annoncé et ça, ça me choquait énormément (avec du recul et mon diagnostic tardif, je sais maintenant que le mensonge est très difficile à comprendre pour une personne autiste, ce qui explique que le fait de m’avoir menti m’ait sincèrement choquée).
- Ensuite : il me léchait l’anus ! Je n’avais jamais fait de sexe anal avant, et le découvrir de cette manière a été un traumatisme. Je ne comprenais pas pourquoi il faisait ça, je trouvais ça dégueulasse, j’avais transpiré de peur toute la journée et je ne m’étais pas douchée depuis. J’étais dans l’incompréhension totale de ses actes.
- Enfin : j’étais totalement nue et lui complètement vêtu. Il portait une djellaba qui couvrait son corps et un turban qui cachait crâne, cheveux, cou et menton. Je me sentais encore plus agressée et inférieure à cause de cette différence d’habillement.
Tout mon corps s’est raidi au contact de sa langue sur mon anus. Je suis tombée dans une première phase de sidération. Lorsque j’ai réussi à reprendre un peu mes esprits, j’ai juste réussi à dire d’une petite voix : « Mais… J’ai un copain ». Ce à quoi il a rétorqué « Tu parles, 4 mois c’est rien ! » (Dans notre précédente discussion on avait abordé le sujet, et je lui avais dit que ça faisait 4 mois que j’étais avec). Ça m’a tellement choquée qu’il se permette de juger ma relation amoureuse que je suis tombée dans une deuxième phase de sidération.
Comment il profite de ma sidération psychique pour faire tout ce qu’il veut
Ensuite, j’ai de très vagues souvenirs, je suis tombée dans une sorte de coma instantané, une espèce de black-out où mon esprit est sorti de mon corps car la situation était trop insupportable, incompréhensible et choquante. Comment un homme qui s’est montré compréhensif envers une victime d’attouchements sexuels peut lui-même la violer ? Le jour-même ? Dans son propre hôtel ? Après lui avoir affirmé être en sécurité ?
J’étais sous le choc. Je n’ai pas bougé d’un centimètre. Il a fait tout ce qu’il voulait. Je me rappelle vaguement qu’après m’avoir léché l’anus il m’a léché la vulve, ou alors il m’a doigtée. Ma mémoire traumatique a supprimé une partie de mes souvenirs. Par contre, je me souviens qu’il a soulevé sa djellaba et a mis une capote (heureusement) pour finir son agression. Le fait qu’il n’ait même pas pris la peine de se déshabiller a ajouté au choc que j’avais déjà. Je n’ai même pas vu le visage de mon agresseur ! Il ne m’a pas embrassée non plus, il a juste fait ce qui l’intéressait.
Comment ma vulve me brûle pendant une semaine après le traumatisme
Une fois qu’il a eu terminé, il s’est levé et je suis sortie de ma torpeur. Ma vulve me brûlait atrocement. J’ai pris une douche, me suis rhabillée et suis partie dare-dare. Les jours suivants, j’ai énormément souffert. D’une part, son massage m’avait démonté le dos (pas du tout thérapeutique le massage ! Tu parles d’un touareg avec tradition ancestrale de massages… C’était surtout des gros mythos pour m’allonger sans éveiller mon opposition). D’autre part, j’avais contracté une mycose vaginale. Je n’en avais jamais eu avant et ne savais pas ce que c’était. J’ai consulté un médecin à mon retour en France … une semaine plus tard. Autant vous dire que ma vulve me brûlait, piquait, grattait affreusement. Je devais marcher en écartant les jambes (le plus discrètement possible) pour limiter les frottements des lèvres et les brûlures qui s’ensuivaient.
Après cet événement, j’ai rompu avec mon copain de l’époque. Je me sentais salie par ce touareg et n’acceptais plus ma propre sexualité. J’ai attendu plusieurs mois avant de raconter brièvement ce qui s’était passé à une copine. Et encore, j’ai menti en disant que j’avais « couché » avec un mec au Maroc, au lieu de dire qu’on m’avait violée au Maroc. C’était plus facile à dire comme ça. Pour mieux supporter ce qui s’était passé, je me suis mentie à moi-même pendant longtemps. Les viols, ça n’arrive qu’aux autres, pas à moi voyons (hé bin si !). Influencée par la culture du viol, je me disais que j’avais voulu ce moment. Pourtant, les signes que je n’étais pas consentante étaient énormes : quelqu’un que je désire, je l’embrasse et le touche un minimum, et en général je suis démonstrative au lit, je ne reste pas comme une baleine échouée. Et puis cette mycose était probablement le résultat d’une violence psychique extrême au niveau de ma vulve, une sorte de réponse psycho-somatique de mon corps.
Je me suis mentie pendant 6 ans et j’ai finalement accepté la réalité. Oui, ça m’est arrivé à moi : j’ai été violée. Et en plus je suis restée de marbre et n’ai pas bougé un doigt. Ma prise de conscience est arrivée suite à un travail personnel d’amélioration de ma confiance en moi, au fait que maintenant c’est moi qui décide ce que je fais de mon corps et qui le touche. Si je n’avais pas fait tout ce travail de développement personnel, je serais probablement toujours en train de me mentir à moi-même.
Ce qui me dérangeait énormément était de n’avoir opposé aucune réaction, si ce n’est mon immobilité totale sur le lit et ma petite phrase disant à mon agresseur que j’étais en couple. J’étais plus sereine par rapport à la première agression sexuelle (les bisous forcés dans le désert), car j’avais opposé une certaine résistance et ensuite adopté une tactique de survie. Au moins j’avais fait quelque chose ! Mais concernant ce viol, je n’avais juste rien fait, pas de réaction, rien. Et ça, c’est dur à vivre. J’avais très peur de parler et qu’on me rabroue en disant que je raconte n’importe quoi, que je l’avais voulu puisque j’étais allée dans la chambre du touareg de mon plein gré (même si c’était pour aller chercher un stylo à la base…), peur qu’on ne me croie pas, peur qu’on remette ma parole en question. J’ai donc gardé l’histoire pour moi, jusqu’à ce que je découvre la vidéo de Marinette sur la sidération psychique et comprenne que quand on est dépassé-e par des événements choquants, ça arrive de n’opposer aucune réaction. Le cerveau établit tout simplement un court-circuit pour éviter de trop souffrir. Cette vidéo m’a libérée, j’ai mieux compris mon absence de réaction. J’avais eu une réaction qui s’explique, qui est même « normale » dans ce genre de situation. Ça m’a rassurée.
Source : Marinette – Femmes et féminisme
Une fois au clair avec moi-même, je suis allée au commissariat de police où je résidais à ce moment-là :
Porter plainte pour dire « non » même si c’est 6 ans plus tard
J’ai décidé de porter plainte, pour finalement m’opposer à mon agresseur. Je n’ai peut-être rien fait sur le moment, mais au moins je ferai quelque chose 6 ans après ! Je ne serai pas qu’une victime, mais quelqu’un qui se fait respecter, même si c’est plusieurs années après !
Comment l’officier de police m’a dissuadée de porter plainte
Le commissariat où je suis allée n’a pas enregistré ma plainte… Concernant l’agression sexuelle (bisous forcés dans le désert) c’était trop tard, le délai est de 5 ans après l’événement. Et concernant le viol, on était encore dans les délais, MAIS le policier m’a longuement expliqué que c’était compliqué de prendre une plainte dans mon cas. La procédure judiciaire aurait comporté trop d’éléments compliqués à suivre. Le viol s’était déroulé à l’étranger, par un étranger, il y a « longtemps », et je ne me souvenais plus de la date exacte, du nom exact de l’hôtel, ni du numéro de la chambre… Désolée si mon cerveau a effacé tous les détails pour occulter ce mauvais moment de ma mémoire ! C’est juste une stratégie psychologique d’auto-protection …
Au moment de ma tentative de dépôt de plainte, j’étais en Guyane, donc il m’a aussi dit que ce serait mieux de m’occuper de cette affaire en métropole… D’après ses dires, j’aurais dû déposer plainte au Maroc, à l’ambassade de France directement après les faits, les personnes compétentes à l’hôpital auraient alors pu faire des prélèvements d’ADN de l’agresseur sur moi , ils auraient pu constater les lésions physiques (en l’occurrence ma mycose vaginale)… blablabla.
Cette tentative de dépôt de plainte m’a au moins aidée à me libérer
Personnellement, je veux bien comprendre que c’est compliqué de lancer une procédure judiciaire dans un cas comme le mien (viol d’une Française par un touareg probablement Algérien, sur le sol Marocain), mais j’aurais apprécié que ce soit la police qui comprenne la victime plutôt que la victime qui doive comprendre les complications du travail de la police ! Je ne suis pas retournée au commissariat une fois rentrée en métropole. Si je le fais, je devrais réunir plus précisément les éléments de l’histoire. Dans tous les cas, il n’y aura probablement pas de suites.
Ce qui compte pour moi, c’est qu’en essayant de porter plainte, je me suis montré à moi-même que je méritais le respect, que même si je ne m’étais pas défendue sur le coup, j’étais capable de le faire après. Maintenant je parle sans trop de difficultés de cette terrible journée.
Voilà… donc ma tentative de dépôt de plainte a échoué. Je reproche aux officiers de police de s’être davantage focalisés sur leurs problèmes à eux pour instruire le dossier hypothétique, plutôt que sur mon problème à moi de victime qui réclame justice. Sinon je peux affirmer qu’ils n’ont pas remis mon histoire en question. J’ai souvent entendu dire que des policiers avaient posé des questions inappropriées aux victimes, sous-entendant leur part de responsabilité dans l’histoire. Mais cela n’a pas été le cas pour moi.
En plus de ce jour terrible, il m’est arrivé plusieurs autres agressions, qui ne relèvent pas du viol. Je vais les raconter brièvement pour montrer tout ce qui peut arriver à une femme, notamment quand on n’est pas en permanence sur ses gardes, ou quand, comme moi, on est autiste Asperger et a des difficultés à analyser les intentions des gens :
(2) Agressée sexuellement par utilisation de ma naïveté (autistique)
La même année de mes 20 ans, j’ai voyagé un mois en solo au Bénin. J’ai été hébergée une partie de mon séjour chez un ami d’ami, comme ça se fait là-bas. Les Béninois sont très accueillants et chaleureux.
Comment je n’ai pas compris l’intention réelle de l’agresseur derrière sa demande
Un soir, après la douche, je portais une veste fermée jusqu’en haut sur mes seins nus. Mon hôte avait dû remarquer que je ne portais pas de soutien-gorge. Il m’a demandé de lui montrer mes seins. Il m’a dit être curieux car comme il était Africain, il n’avait jamais vu de seins de blanche, et voulait juste voir. Comme c’était mon hôte, qu’il était marié, et que c’était l’ami qu’un ami proche m’avait recommandé, je l’ai naïvement cru… Maintenant que mon diagnostic d’autisme est tombé, je sais que ma naïveté est due à mes difficultés autistiques à percevoir les non-dits dans la communication. Donc moi, en bonne autiste très gentille, j’ai compris sa demande au premier degré : s’il me dit qu’il veut voir mes seins car il n’en a jamais vu des blancs, c’est qu’il veut voir mes seins. Il est curieux et ça peut se comprendre, je n’ai pas vu où était le problème. J’ai donc gentiment ouvert ma veste. Je pensais juste lui montrer puis refermer après avoir satisfait sa curiosité que je comprenais.
Comment l’agresseur est allé plus loin que ce qu’il ne m’avait dit
En fait, ça ne s’est pas passé comme prévu ! Il m’a dit vouloir VOIR mes seins… Sauf qu’une fois ma veste ouverte, il a saisi mes seins dans ses mains, leur a fait un bisou chacun puis a terminé par un smack sur mes lèvres. J’étais abasourdie. Pourquoi il m’a demandé de voir mes seins si, en réalité, il voulait les caresser et m’embrasser ??
Les jours d’après, il m’a encore embrassée plusieurs fois, toujours par surprise. C’était censé être un ami recommandé par quelqu’un de confiance, je ne comprenais pas son attitude. Heureusement, j’ai fini par m’énerver et par lui dire que je ne comprenais pas ce qu’il faisait. Je voulais juste être amie avec lui et ça n’allait pas continuer comme ça. Ce n’était pas parce que j’habitais chez lui quelques jours qu’il avait un droit sur moi. Après cette discussion houleuse, il a arrêté (heureusement !).
Vu de l’extérieur, ça peut sembler surréaliste de croire quelqu’un sur parole lorsqu’il affirme « juste » vouloir voir mes seins. Mais dans mon cas, j’avais déjà voyagé dans des zones reculées d’Afrique, et sa demande ne m’a pas choquée. J’avais souvent remarqué que les Africains qui ne côtoyaient pas de blancs voulaient voir ma peau, mes yeux verts et mes cheveux de plus près. J’avais même surpris une femme de la famille chez qui je logeais me reluquer sous la douche. Il y a aussi des jeunes enfants qui ont pleuré en me voyant car ils n’avaient jamais vu de blanche.
A l’époque, je ne savais pas que lorsqu’un homme demande à une femme de voir une partie de son corps, c’est qu’il a probablement une idée derrière la tête. Maintenant, je sais que j’ai le syndrome d’Asperger, et j’engrange un maximum d’informations pour savoir ce qui se fait socialement ou pas. Ainsi, j’ai une sorte de grille de lecture sociale que j’ai acquise avec l’expérience, de nombreuses lectures et l’aide de ma psy. L’apprentissage des codes sociaux se fait naturellement pour toute personne « neurotypique » (= »normale »), mais moi je dois tout apprendre consciemment. C’est possible (d’autant plus que je n’ai pas de déficience intellectuelle), mais ça prend du temps et de l’énergie.
(3) Démonstration de force avec « blague » sur le viol
Lors d’un stage d’études à la ferme, je mangeais chez mon maître de stage. Il devait avoir 35 ans alors que j’en avais 20. C’était un agriculteur imposant physiquement.
À la fin du repas, je n’ai pas compris pourquoi, mais soudainement mon maître de stage m’a plaquée contre le mur en disant fortement « Quoi ? T’as peur que j’te viole ?? ». J’ai eu super peur !! J’ai répondu d’une petite voix faussement assurée « Mais non t’es trop gentil pour faire ça ». Il a rigolé et m’a laissée.
Perso, je ne comprends pas l’intérêt de faire une démonstration de force quand déjà le gars mesure 1m80 et pèse plus de 100 kgs de muscles… C’est ça aussi être une femme dans une société soumise à la culture du viol : recevoir des simili menaces de viol sans raison. RIEN ne justifie une quelconque menace de viol.
(4) Agressée sexuellement par un « ami »
Un soir, pour me dire au revoir, un ami de 25 ans mon aîné (oui j’ai un ou deux amis plus âgés et je n’y vois pas d’inconvénients majeurs si la relation est saine) m’a pris la tête entre ses mains, m’a fait une bise à droite, une bise à gauche, puis m’a smackée. Comme ça ! Alors qu’on n’était pas du tout en flirt, on se considérait comme de simples amis.
Qu’on ne me dise pas que c’est de la séduction ! Pour séduire, on y va par étapes, et avant d’embrasser on peut au minimum prendre la main… Et comme ils le disent dans le film « Hitch, expert en séduction » un bon baiser est celui où on propose uniquement : on approche à 90% ses lèvres de celles de la personne désirée, puis on la laisse faire les 10% du chemin restant. On ne l’embrasse pas sauvagement sans demander son avis !
(5) Une agression sexuelle « ordinaire »
Une fois en soirée, j’ai senti une main me caresser les fesses, le temps que je me retourne et la personne avait disparu au milieu de la foule.
Juste pour info, une main aux fesses constitue une agression sexuelle et est répressible par la loi d’une peine de 5 ans de prison et 75 000€ d’amende (oui oui, c’est dans ce texte de loi).
Une femme n’est pas un objet qu’on touche si on le trouve joli. C’est une personne ! Et il faut arrêter de banaliser les agressions sexuelles « ordinaires ». Même si ça ne crée pas de traumatisme comme un viol, le fait qu’une personne se permette de nous toucher sans notre consentement impacte notre psychisme. Et la répétition du phénomène peut vraiment conduire au traumatisme, avec des conséquences sur la vie sentimentale et sexuelle de la victime : baisse de l’estime de soi, rapports non consentis, etc.
La conclusion de tout ça
Être une femme expose à un risque accru d’agressions sexuelles, dans toutes les situations de la vie.
Etre une femme autiste Asperger multiplie ce risque. Je développerai ce point plus en détails dans un article spécifique au syndrome Asperger.
Si vous connaissez une femme autiste Asperger dans votre entourage, ou une femme facilement crédule, s’il vous plaît, expliquez-lui que le mensonge existe et que certaines personnes sont prêtes à mentir pour arriver à leurs fins. Il existe plein de gens supers, mais il existe aussi des personnes mal intentionnées. Il ne s’agit pas d’être parano, mais d’informer sur les risques. La meilleure manière d’aider une femme à ne pas subir d’agressions est (selon moi) de lui apprendre à :
- Cultiver une haute estime d’elle-même ;
- Croire profondément qu’elle a de la valeur, beaucoup de valeur, et que son choix est aussi important que l’envie de la personne en face ;
- Se fier à son intuition et à ses ressentis pour apprendre à reconnaître lorsque son corps dit non (et que l’esprit est déconnecté pour une quelconque raison) ;
- Elle a le droit de dire non, même si elle est déjà nue dans la chambre d’un homme ;
- Elle a le droit de se tromper, de ne pas comprendre les intentions initiales de quelqu’un, et quand elle s’en rend compte, elle a le droit de partir sans se justifier ;
- S’il lui arrive quelque chose, la loi est derrière elle. Avec les réseaux sociaux, la parole se libère et ça commence à bouger doucement. Il existe maintenant des associations d’aide aux victimes qui peuvent aider à porter plainte ou à se reconstruire après ce genre de traumatismes.
Source : Vin’S
💕 Love 💕
Agathe.
« L’épanouissement sexuel loin des normes »
Tous mes articles sont à but éducatif et n’ont en aucun cas pour but d’inciter à la haine ou de détériorer l’image d’une quelconque communauté. Si vous vous sentez vexé-e-s, sachez que ce n’était pas mon intention.
PS : Rappel de la loi
Viol : Article 222-23 du Code pénal français (lien ici)
« Tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, commis sur la personne d’autrui ou sur la personne de l’auteur par violence, contrainte, menace ou surprise est un viol. Le viol est puni de quinze ans de réclusion criminelle. »
Agression sexuelle : Article 222-22 du Code pénal français (lien ici)
« Constitue une agression sexuelle toute atteinte sexuelle commise avec violence, contrainte, menace ou surprise. Le viol et les autres agressions sexuelles sont constitués lorsqu’ils ont été imposés à la victime dans les circonstances prévues par la présente section, quelle que soit la nature des relations existant entre l’agresseur et sa victime, y compris s’ils sont unis par les liens du mariage. »
Peine encourue par l’auteur d’une agression sexuelle : Article 222-27 du Code pénal français (lien ici)
Les agressions sexuelles autres que le viol sont punies de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende.
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Crédits photographiques et dessins :
- Photo de moi : mon ami le retardateur ^^
- Dessin d’une femme qui se tient la tête entre les mains : @plaisirs_coupables (merci !)
- Photo d’un village Marocain : Nicolas Cool
- Femme au sol : Hailey Kean
- Femme immobile sur une table : Pim Chu
- Femme qui regarde son reflet : Darius Bashar
- Femme qui saute : Austin Schmid
- Femme prostrée : Hadis Safari
Ressources bibliographiques par ordre d’utilisation dans le texte :
- Article du journal Huffpost (2017) « L’effet Weinstein: comment, de hashtags en témoignages, le monde entier s’est posé la question « moi aussi? » »
- Enquête VIRAGE, par l’institut INED (Enquête sur les violences faites aux femmes en France)
- Article du journal Le Point (2018) : « Violences sexuelles : les femmes restent mal prises en charge »
- Enquête #Paye ta plainte menée par l’association féministe « Le groupe F »
- Article du journal Le Monde (2018) « La culture du viol, un concept pour en finir avec notre fatalisme »
- Article du webzine Madmoizelle (2018) : « « Pourquoi vous ne vous êtes pas débattue pendant le viol ? » : la sidération expliquée »
- Video YouTube par Marinette : « FOCUS — Violences sexuelles : la sidération psychique »
- Emission France culture (2017) : « « Culture du viol » : derrière l’expression, une arme militante plutôt qu’un concept »
- Film « Hitch, expert en séduction »
- Article 222-23 du code pénal Français (site Legifrance)
- Article 222-22 du code pénal Français (site Legifrance)
- Article 222-27 du code pénal Français
- Annuaire des associations d’aide aux victimes d’agressions sexuelles
- Clip #metoo par Vin’S
- Tour du monde des hashtags dénonçant les abus sexuels : #MeToo #MoiAussi #BalanceTonPorc
#BreakTheSilence #Minämyös, #IchAuch (MoiAussi) #aufschrei (cri) #YoTambién #QuellaVoltaChe (LaFoisOù) #JoTambé #EuTamén #我也是#ԵՍ ՆՈՒՅՆՊԵՍ #أناأيضًا #আমিও #JATAKOĐER #EKOOK#ကိုယ်လည်းပဲ #JÁTAKÉ #NAMIFUTHI #JAISTO #METOO #AKORIN #MINÄMYÖS #MOIAUSSI #ΚΑΙΕΓΩ #MEQUOQUE #ЯТАКОЖ #मपनि#ਮੈਵੀ #ЯТОЖЕ #YOTAMBIÉN #JEGOGSÅ #JATEŻ #EUTAMÉN #גםאני #ICHAUCH #OGSÅMIG #מיראויך# میںبھی #ALLATONCE
Merci pour cet article et votre témoignage, je suis maman d’une préado aspergirl et je me pose beaucoup de question sur son avenir,surtout qu’elle m’en pose énormément sur son indépendance entre autre.
Je suis blogueuse sexo, donc suffisamment ouverte sur la sexualité en général, votre témoignage est super important pour moi, car je me rends compte qu’il faudra que je l’aide à différencier les comportements et les sous entendu dans ce domaine là aussi et pas uniquement sur la vie en général.
«je suis allée avec lui chercher un stylo» ,cette phrase m’a profondément marquée, car elle résume la façon dont les autistes asperger comprennent les choses, c’est à dire simplement, sans imaginer qu’il peut y avoir un sous entendu quelconque ou une mauvaise intention derrière.
Vanyfraiz
Coucou Vanyfraiz et merci pour ton commentaire 🙂
Tu as très bien saisi la façon de percevoir les choses pour une aspergirl, et l’importance de l’apprentissage des codes et des non-dits. Si cet article pouvait permettre une prise de conscience de la part des parents d’autistes, je serai plus que satisfaite. L’éducation à la sexualité est (selon moi) encore plus importante et vitale pour les autistes, on a BESOIN d’apprendre les subtilités de la communication, ou au minimum de connaître les situations à éviter absolument (typiquement : suivre un homme dans sa chambre pour aller chercher un stylo…)
Merci, Agathe.
Merci bcp Morgane/Agathe (?) pour ces témoignages qui livrent la réalité des choses et leur omniprésence, qui expliquent très clairement les situations et ton vécu de ces moments-là, qui j’espère aideront à la prise de conscience collective…
Je voudrais juste ajouter que je me retrouve dans bcp de ce que tu as vécu, dans les « états de conscience » dans lesquels tu t’es trouvée, dans les histoires (j’ai connu plusieurs situations de ce type au Maroc dans ma jeunesse aussi), et que bien que je n’ai jamais été diagnostiquée autiste asperger (bien que je commence à me poser des questions…) j’étais moi aussi très crédule, naïve, lorsque j’étais jeune et que je n’avais pas vécu d’histoires (assez) traumatisantes. Je le suis même restée jusqu’à ce que je vive une agression d’une grande violence, alors que j’avais déjà vécu des choses qui auraient dû me faire prendre conscience de l’existence d’hommes mal intentionnés. Je ne croyais juste pas ça possible, je ne le concevais pas, et je pense que la plupart des jeunes femmes ne le conçoivent pas, tant que rien de « choquant » ne leur est arrivé.
Bref, merci.
Merci Aurore pour ton retour sur le sujet. Effectivement, pas besoin d’être autiste pour être naïve, même si c’est exacerbé chez beaucoup de personnes autistes. Je crois que prévenir les jeunes est utile, mais surtout je pense qu’il est primordial de donner confiance aux gens. On a le droit de tout refuser, notre corps nous appartient et seul-es leur propriétaires choisissent que faire de leur corps. On a le droit de dire oui, de dire non, tout en restant dignes et plein-es de valeur.
Sinon, je m’appelle Agathe, et Morgane est le pseudo que j’utilisais quand j’ai lancé ce blog 😉